Le compositeur et l’œuvre

Souvent affublé de l’étiquette de « musicien de la Belle Époque » par ses premiers biographes, venu d’un milieu bourgeois où il se produit dès l’âge de 5 ans dans les salons de la princesse Mathilde, Reynaldo Hahn traduit bien davantage une érudition littéraire et musicale auprès de ses contemporains qu’une mondanité futile.

Aujourd’hui connu et reconnu dans le monde entier pour ses mélodies – Si mes vers avaient des ailes, Chansons grises, etc. –, il est surprenant de noter que la production de la grande majorité de ces œuvres se fait au sortir de son adolescence, témoignage flagrant d’une maturité exceptionnelle par sa prédisposition à allier texte et musique, ou plutôt à servir le texte, par la musique comme écrin de l’écrit. Il l’étudiera d’ailleurs avec de grands compositeurs et retiendra d’eux, entre autres arts, la courbe mélodique chez Massenet, la pureté de la diction chez Gounod, avec en somme un esprit de synthèse typiquement français, lui qui naissait à Caracas d’un père allemand originaire de Hambourg et d’une mère vénézuélienne d’origine basque.

Il étonne souvent ses biographes car il est certes connu pour son œuvre musicale, mais aussi littéraire. On peut d’abord distinguer une œuvre conséquente pour le piano – son instrument de prédilection – avec la musique de chambre – sonates, quatuors à cordes, etc. – ou des concerti de grande qualité, mais on ne pourra omettre ses écrits théoriques sur le chant, ses articles de critique musical dans Le Figaro ni ses conférences, qui font montre d’une personnalité flamboyante, par ailleurs respectée par ses pairs.

On distingue aussi une œuvre musicale de scène conséquente qu’il initie avec le soutien de Jules Massenet et qui stupéfie ses contemporains car, à seulement 25 ans, il fait son entrée à l’Opéra-Comique avec L’Île du Rêve, nouant alors un lien important avec le théâtre et ses mises en scènes, qui dès lors nourrira La Carmélite (1902) ou Le Marchand de Venise (1935) mais aussi ses opérettes ou comédies musicales dont les plus connues, Ciboulette ou Ô mon bel inconnu qui, bien qu’elles soient les œuvres actuellement emblématiques du compositeur, ne forment qu’une des colorations de l’éclectisme musical de Reynaldo Hahn.

C’est pourquoi l’œuvre à quatre mains de Ô mon bel inconnu regroupe nombre de points évoqués précédemment : clarté du texte, finesse et concision dans le propos, brillance dans l’esprit, saveurs mélodiques constantes, références et citations tant musicales que littéraires de ces lettrés – parfois masquées par un humour corrosif. Dans cette œuvre souvent rocambolesque, le théâtre de Guitry apporte un jeu amoureux fiévreux, adouci par un classicisme mozartien, propre au caractère réservé de Reynaldo Hahn.

C’est l’alliance du saxophone et du piano avec le café-concert, du parlé-chanté avec la mélodie française, du populaire avec le savant qui permettent sans nul doute de passer un excellent moment dans cet univers d’entre-deux-guerres.

Dans cette boutique de chapeaux où les trois femmes de la maison – la bonne, l’épouse et la fille – se risquent au jeu dangereux de l’amour, le mari, que l’on penserait omniscient, ne risquerait-il pas de se faire prendre au jeu et de « porter le chapeau », lui aussi ?

Envoyant une annonce à un journal, il découvre qu’il peut être dupé, cocu et trahi par le trio féminin de son foyer qui a eu l’imprudence de répondre à « ce bel inconnu ». Il s’en faut de peu pour que l’œuvre rutilante ne s’assombrisse, et c’est ce contraste qui permet ici un relief dramatique de grande tenue. Les coups de théâtre spectaculaires ne sont plus qu’agréments au sujet éternel des amours passagères, fidèles ou naissantes.

Nicolas Vardon